Quatre pistes proposées par Mgr José Moko Ekanga, évêque du diocèse d’Idiofa et vice Président de la CENCO, comme réflexion sur l’autonomie de l’Eglise d’Afrique.

C’est dans le cadre de la réflexion sur la pensée théologique Africaine que Monseigneur José Moko, Evêque du diocèse d’Idiofa et vice Président de la Conférence Episcopale Nationale du Congo a proposé une fructueuse réflexion notamment sur l’épineuse question de l’autonomie financière de l’Eglise d’Afrique que nous reprenons en extension sur cette page.

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En voici la substance :

Il importe de rappeler que l’Église est « Communion ». De ce fait, elle est à maintenir dans l’unité. L’une des valeurs subséquentes à cette unité-communion restera, sans conteste, la solidarité entre les Églises. Il ressort en effet de la dynamique du début de l’Église ce souci de venir en aide aux autres Églises dans le besoin (Ac 11,8 ; 1 Cor 16 ; 2 Cor 8,1-7 ; Ga 2,10).

L’apôtre Paul accorda une importance extrême à la collecte qu’il suscita en faveur de l’Église de Jérusalem. Il nous faut absolument garder, comme un point d’orgue et critère d’authenticité à l’Évangile, cette belle perspective chrétienne, surtout en ce monde mû par des intérêts égoïstes et qui ferme souvent les yeux devant la souffrance des autres. L’Église en Afrique est appelée à travailler à son autonomie financière dans une confiance immense à ce Dieu qui nous veut une humanité solidaire. L’indication est à l’ouverture, à l’universalité. En ce sens, l’Église en Afrique doit se donner les moyens d’accéder au bonheur de partager elle aussi ce qu’elle a à offrir.

Pour parvenir à se donner des moyens de sa mission, nous pensons à quatre pistes.

La première piste est la mise en commun.

Depuis les années 1990 à 2000, les conférences épiscopales africaines ont levé l’option de la prise en charge de l’Église par ses propres fidèles. La Conférence épiscopale de la RD-Congo, mon pays, a été parmi les premières, en 1995, à interpeller ses fidèles catholiques sur le devoir ecclésial à subvenir aux besoins de l’Église (RD-Congo, Kinshasa, Cepas, 1996). Cette option prend appui sur l’Écriture et sur le code du droit canonique. Nous pensons essentiellement à Ac 4,34-35, et au Can. 222 § 1.

Depuis, des initiatives heureuses se sont développées ici et là, laissant apercevoir une prise de conscience africaine en la matière, même si l’on est encore loin des résultats attendus. Une lueur d’espoir nous vient surtout des communautés anglophones de l’Afrique. Nous apprenons qu’au Nigeria et au Ghana, les fidèles ne se font pas prier pour prendre en charge leur église.

« Les fidèles ont l’obligation de subvenir aux nécessités matérielles de l’Eglise ». En Afrique, cette piste s’impose et elle est prometteuse tant il s’observe une augmentation du nombre des fidèles. L’Église en Afrique, riche en membres, doit tirer meilleure partie de cette démographie galopante, de sa population nombreuse et jeune. Cette carte est absolument à jouer pour se prendre en mains et pour apporter sa contribution à la charité universelle. L’un de lieux où nous voyons venir cet élan est la collecte annuelle aux OPM et à la Sainte Enfance. L’Église en Afrique est encore loin derrière l’Amérique et l’Europe mais elle est là.

La deuxième piste me semble celle de la formation.

À défaut d’avoir des collaborateurs laïcs outillés, difficiles à garder dans le rural et difficiles à payer conséquemment, il nous faut former des personnes consacrées aux disciplines qui correspondent aux besoins de l’évangélisation et aux réalités du terrain. Il n’est pas rare, en matière de la prise en main de notre avenir, de constater l’inadéquation entre l’ampleur de la mission et la formation reçue.

Un complément en sens managérial pour consolider le leadership sacerdotal ne serait pas de trop. Nous pensons également à une création des compétences diverses et variées, comme celles de médecin, d’ingénieur, de mécanicien, pour relever les défis de nos diocèses, à majeure partie, ruraux et périurbains. En ce sens, on peut regretter que beaucoup de congrégations masculines et féminines n’aient vu que la santé et l’enseignement. Une expertise technique accompagnerait merveilleusement bien la mission dans l’entretien des infrastructures vétustes, des problèmes d’accessibilité en eau et en électricité.

La troisième piste est liée à la nature

L’autonomie de l’Afrique viendra aussi d’une meilleure maîtrise de l’environnement et du temps. Tout porte à croire que nos agendas, nos calendriers scolaires et liturgiques n’ont pas obéi et n’obéissent pas aux réalités climatiques africaines. Tout est encore fait en fonction de l’Occident. Les dernières prises de conscience écologique, y compris dans l’Église avec Laudato Si, voudraient que nous vivions en phase avec la nature. Les rythmes de saisons et le profond respect de l’écosystème ne devaient-ils pas devenir des maîtres-mots régulateurs de la planification de l’année.

Il s’observe par exemple, au moins dans ma région, que les curés partent en vacances au moment où les paysans labourent le champ et mettent en terre les semences. Cette absence apparemment anodine fait non seulement du curé le pauvre du village qui n’a pas été là pour cultiver son potager, mais aussi le pasteur qui a manqué d’accompagner par des rites les activités vitales de ses fidèles. Une rentrée pastorale qui prendrait en compte cette dimension de la vie rurale aiderait les fidèles à intégrer leurs activités champêtres ou autres dans leur vie de foi. Il va sans dire qu’une telle implication augmenterait l’impact social du curé et le placerait au cœur de la vie. Il s’en suivra une attention aux produits de la terre qu’on présentera à l’autel et qu’on veillera à valoriser.

La quatrième piste est celle d’exiger des collaborations justes avec nos pays

Nos Églises diocésaines prises séparément n’auront jamais le moyen d’un État. L’Église n’a aucune ambition de remplacer l’État ou d’exercer le pouvoir temporel ; elle est toutefois en Afrique un grand partenaire de l’État en matière scolaire, sanitaire et dans les œuvres de développement. Le poids social de l’Église est réel, et c’est ce poids social qui fait qu’on l’écoute, qu’on la respecte. L’État n’a aucun intérêt à la voir faiblir, au risque de voir des régions entières manquer des services publics de base. Il n’est un secret pour personne que les infrastructures de l’Église en Afrique sont issues de financement interne à l’Église. N’est-il pas venu le temps pour nos Conférences épiscopales de faire valoir cette collaboration incontournable et d’obtenir des pouvoirs publics une contrepartie ? Une mise en exergue d’une telle collaboration éviterait à nos États africains de naviguer dans le vide mais de s’appuyer sur les infrastructures de l’Église pour les réhabiliter et les améliorer. Des accords-cadres pourraient être signés pour accompagner ces partenariats dans le respect de la vocation de chaque partie contractante. Les hommes et femmes de l’Église ne peuvent pas continuer à porter la charge sociale constitutionnellement dévolue à l’État et assister impuissants à la dégradation des infrastructures, bien plus à l’appauvrissement du personnel consacré. Des subventions pourraient être accordées par l’État pour pallier à cette injustice.

Somme toute, et sans prétendre à l’exhaustivité, la réalisation de ces quatre pistes exige, pour les acteurs concernés, du courage de l’avenir. Car c’est en osant les idées nouvelles que nous préparons un nouvel avenir pour l’Église en Afrique.

Mgr José Moko