Histoire de la mission oblate au Congo

Le labeur des pionniers et des héritiers

            Dans l’action des missionnaires Oblats de Marie Immaculée au Congo/Kinshasa, on peut distinguer trois grandes périodes précédées de vingt-six années de pourparlers (1905-1931) : le temps des pionniers (1931-1966), la consolidation (1966-1992) et la ré-fondation (1992- à nos jours).

1. Les pourparlers (1905 – 1931)

Au tournant du XXe siècle, le Congo-belge n’est pas encore placé sous juridiction ecclésiastique. Pour l’heure, c’est l’Etat belge qui sollicite la collaboration missionnaire des instituts religieux, parfois sous le couvert de la Propaganda Fide. C’est ainsi qu’en 1905 le roi Léopold II lui-même offre au père Delouche[1], Provincial oblat de la Belgique, un établissement au Katanga, convaincu qu’à son œuvre de colonisation, les missionnaires apporteraient le concours d’un effort rédempteur. Faute de personnel et de moyens, l’offre royale ne trouve pas les Oblats prêts à y apporter leur contribution.

            La machine du temps, elle, continue à tourner jusqu’au moment où le Congo-belge passe sous juridiction ecclésiastique. Et comme il est peu probable que les occupants actuels – beati possidentes – fassent appel à des membres d’un autre institut religieux, c’est la S. Congrégation de la Propagande qui règle la question de nouvelles fondations. De son côté, l’Etat belge se limite à se renseigner sur l’importance, les œuvres, les possibilités de l’institut  qui sollicite un établissement au Congo. Une fois la nouvelle fondation décidée par Rome, il s’occupe à régler les affaires juridiques et financières, notamment en ce qui concerne la transmission des propriétés des partants aux arrivants, les subsides de premier établissement, les subsides à l’enseignement, à l’aide médicale, la concession de la personnalité juridique, etc.

            Les Oblats belges considèrent ainsi que les conditions pour demander une mission au Congo sont réunies. Pas question donc d’attendre qu’on leur l’offre. Ils justifient d’ailleurs cette volonté de prendre pied au Congo par leur ambition légitime de participer à l’œuvre collective de leur pays pour « civiliser et évangéliser » les peuples de la cuvette centrale. En cela, ils sont encouragés et presque poussés par la politique religieuse du ministère des colonies, très désireux de voir les missions catholiques belges se développer pour contrecarrer l’influence protestante[2]. Se comparant aux autres congrégations religieuses établies en Belgique, les Oblats supportent mal leur absence du Congo, une absence qui les met, depuis des décades, en état d’infériorité et d’impopularité vis-à-vis du public et surtout du clergé au point de vue recrutement.  

            En 1925 toutefois, la S. Congrégation de la Propagande, sur l’initiative du département des colonies, soumet à l’Administration générale oblate la proposition de commencer une nouvelle mission au Congo. La réponse négative réservée au dicastère romain par cette dernière, sans que la Province oblate belge n’ait été entendue à ce sujet, retardera les choses jusqu’en 1930, année à laquelle le Supérieur général en conseil accepte finalement un nouveau champ d’apostolat au Congo sous la juridiction des pères jésuites. 

Rappelons toutefois qu’en marge du Chapitre général tenu à Rome, en 1926, le père Pescheur, Provincial belge, dans ses entretiens avec le père Villeneuve, Provincial canadien, demande à celui-ci de libérer les Oblats belges travaillant au Basutoland[3], parce que ceux-ci iraient bientôt former le premier contingent de missionnaires devant partir pour le Congo. Le Provincial belge estimait, en effet, que ces Oblats avaient l’avantage d’être déjà exercés au travail apostolique et à la vie d’Afrique. La réponse du Provincial canadien ne se fit pas attendre : « Bien volontiers parce qu’il s’agit du bien de la Congrégation et de la prospérité de ses œuvres ». En 1930, année à laquelle l’Administration générale accorde l’autorisation de commencer une nouvelle mission au Congo, alors que tout semble prêt pour le grand départ, les Oblats ne sont toujours pas fixés sur le territoire où ils devront exercer leur ministère. Plusieurs régions sont tout de même envisagées à cette fin : l’est de Léopoldville, le Sud du Kwango, le Haut-Kasaï, le Lulua-Katanga, le Katanga, le Stanley-falls, une partie de Coquilhatville, Lomami dans le Nouvel-Anvers, la région des Grands Lacs et des montagnes, etc.

De tous ces territoires, si on excepte la région des Grands Lacs et des montagnes[4], seul le Katanga intéressait vraiment les Oblats. D’abord parce que dans cette province, les conditions de séjour et d’accès étaient des plus satisfaisantes : région plus saine du pays, disait-on, avec une altitude entre 1000 et 2000 mètres, qui y corrige les inconvénients du climat tropical ; la découverte et l’exploitation d’extraordinaires gisements miniers ; le chemin de fer de la Rhodésie via Beira ou via le Cap était sur le point d’atteindre le sud du Katanga ; le chemin de fer des Grands Lacs, lui, était en passe de relier le Katanga au nord du pays.

Ensuite et enfin parce que l’évangélisation du Katanga allait entrainer moins de charges financières à la Congrégation : les Oblats attendraient de l’Etat colonial des subsides pour franchir la période de premier établissement ; les indigènes à évangéliser et le personnel directeur européen, grâce à leurs salaires, contribueraient par des dons volontaires aux dépenses de la mission.

Mais au lieu du Katanga, les Oblats se retrouveront dans le Vicariat du Kwango, sous la juridiction des pères jésuites. Comment cela s’est-il passé ?

A partir du 3 octobre 1930,  l’Administration générale va multiplier des pourparlers avec les pères jésuites et Scheutistes à Rome. Toujours dans le courant de ce mois d’octobre, le père Praet, Provincial belge, rencontre comme par hasard sur le quai du quartier Léopold à Bruxelles le père Misson[5], sj, qui se prépare à visiter le Kwango. Sans retenue, il fait savoir au provincial jésuite que si jamais il trouve une place pour les Oblats au Kwango, ceux-ci seraient heureux d’aider les Jésuites dans leur ministère.

Le 14 novembre, le père Coulet, secrétaire des missions jésuites à Rome, adresse une lettre au père Misson en séjour au Congo dans laquelle il lui demande de s’entendre avec Mgr Van Hée, Vicaire apostolique du Kwango, pour trouver une place pour les Oblats. Le 25 novembre, arrive à Jambes le père Lambrette[6], qui vient de la part du père Misson, pour demander aux Oblats de cesser les pourparlers avec les Scheutistes : « Mgr Van Hée me parle de la cession d’une partie de son vicariat à votre congrégation. Il envisage l’est de la Kamtsha avec les trois postes : Ipamu, Mwilambongo et Kilembe. Il faudra que le Délégué apostolique donne son avis ». Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, le 9 décembre de la même année Mgr de Clerck annonce aux Oblats son intention de leur céder dans quelques années la mission de Brabanta et le Kasaï.  

2. Le temps des pionniers (1931-1966)   

2.1. L’arrivée des premiers missionnaires

            La route qui conduit les Oblats belges au Congo passe par le Lesotho ! Quand, le 5 mars 1931, le Préfet de la S. Congrégation de la Propagande approuve le projet d’une fondation oblate au Congo, l’Administration générale, sur proposition du provincial belge, donne une nouvelle obédience au père Hubert Eudore, qui quitte le Basutoland le 19 juin pour arriver à Ipamu, par le port de Mangai, le dimanche 12 juillet, accueilli par les Jésuites Yvon Struyf, Van Tilborg (scolastique), Victor Mertens et un aide laïc. Le père Hubert sera rejoint, le 30 septembre, par les pères Jean-Baptiste Adam et Renson.

Dans le courant de 1932, plusieurs arrivées seront enregistrées : Le père Picard, rappelé lui aussi du Basutoland (le 9 janvier ); le père Novalet et le frère Deville en mai ; les pères Bossard (ancien lui aussi du Basutoland), Nizet, Simon Charles, Simon Louis et le frère Pison en septembre.         

Ce premier contingent d’Oblats travaillera sous juridiction de Mgr Van Hée dans le nouveau champ d’apostolat leur confié, qui comprenait alors tout le territoire situé entre la Kamtsha (à l’ouest) et la Loange (à l’est), avec trois postes de mission repris des pères jésuites à partir de 1933 : Ipamu au nord (fondé en 1922), Kilembe au sud (fondé en 1923) et Mwilambongo au centre (fondé en 1926). Le tableau ci-dessous donne une idée assez claire des contacts établis entre les Oblats et les tribus autochtones :

Poste de mission Tribu principale Autres tribus
Ipamu Badinga Bangoli, Balori, Banzadi, Bamputu, Bashilele
Kilembe Bapende Ambuun, Bawongo
Mwilambongo Ambuun (Babunda) Bawongo, Besi Bulengi, Bapende, Badinga

2.2. La méthode oblate d’apostolat

            Au départ des pères jésuites en 1933, les Oblats se donnent à faire en essayant progressivement de modifier et de varier la méthode d’apostolat trouvée dans le Vicariat depuis leur arrivée : les Jésuites centralisaient à outrance, particulièrement dans la région d’Ipamu où tous les Noirs, filles et garçons, souvent pris de force, devaient quitter leurs villages et venir à la mission pour y suivre la catéchèse.

Les Oblats, par contre, appliquaient à la lettre la méthode préconisée par Mgr Van Hée. D’après celle-ci, les garçons et les filles devaient passer deux ans de postulat dans les écoles de brousse et puis cinq ans à la mission centrale pour y suivre les cours conformément au programme du gouvernement. Les jeunes adultes, quant à eux, passaient un an de postulat dans l’école de brousse, deux ans au poste secondaire, comme catéchumènes, six mois seulement à la mission centrale avant de recevoir le baptême. Pour les mariés, la situation était légèrement différente : ils devaient suivre régulièrement le catéchisme pendant un an dans une école de brousse, régler leur situation matrimoniale, passer un an au post-secondaire et un an à la mission centrale avant de recevoir le baptême. 

            Lorsqu’ils furent définitivement détachés des Jésuites en 1935, les Oblats tentèrent d’adopter une méthode unique d’apostolat comme au Basutholand. Le résultat fut désastreux, car ici les noirs appartiennent à des tribus variées, ont des coutumes et mœurs différentes les unes des autres. Ce n’est donc qu’après tâtonnements, au fur et à mesure qu’ils eurent pris contact avec les différentes tribus qu’une méthode rationnelle et fructueuse fut trouvée. Et grâce à l’appui de nouvelles recrues venues d’Europe, ils décentralisèrent en fondant de nombreux postes secondaires et de très nombreuses écoles rurales, régionales et une école normale dans le but de dégorger les missions centrales. Pour ces pionniers en effet, l’école était le critérium de l’apostolat missionnaire. Car dans le stade de développement où était arrivée l’œuvre oblate d’évangélisation, les écoles étaient l’unique moyen sûr de consolider les résultats obtenus, de préparer les conquêtes définitives de l’avenir et d’opposer à l’apostolat protestant envahissant un mur infranchissable.

2.3. Les premières difficultés

            Comme pour tout début de mission, il y eut plusieurs difficultés auxquelles furent confrontés les Oblats. Les principales sont : l’inexistence ou presque des voies de communication, le problème d’adaptation au climat tropical, le manque de personnel missionnaire, l’insuffisance de moyens financiers nécessaires au développement de la nouvelle mission, l’hostilité des sorciers aux Européens et à toute civilisation blanche.

A côté de ces difficultés du début il faut ajouter cinq obstacles majeurs à l’action missionnaire oblate, à savoir : l’hostilité des chefs indigènes, véritables ennemis de la religion catholique[7], l’anniversaire en 1933 de la fête rituelle[8] de la circoncision (mukanda) qui avait lieu tous les sept ans, la méconduite et le mauvais exemple de certains agents de l’Etat et commerçants blancs, l’épidémie de dysenterie en 1932 qui fit des milliers de morts dans la région de Mwilambongo. Mais c’est surtout la révolte des Noirs contre les Blancs en 1931 (mai-septembre) qui porta un coup sérieux à l’action missionnaire, notamment dans le territoire pende.

Au sujet de cette révolte où des centaines de Noirs furent tués en guise de répression par la Force publique, disons que les véritables causes en furent  le poids du fisc (recrutement forcé des coupeurs de noix palmistes, traitements dégradants, rôle des impositions…), la rivalité entre clans pende des chefferies Gombambulu (en territoire de Kikwit) et Yongo (en territoire de Kandale) exacerbée par l’ingérence de l’administration coloniale dans la désignation des chefs médaillés, et l’immoralité de certains agents territoriaux et commerçants blancs (abus exercés sur les femmes pende par des agents territoriaux et commerçants blancs[9] désireux d’obtenir des faveurs sexuelles). Poussés à bout, les Pende décidèrent sous l’instigation de Matemo dit Mundele Fundji d’en découdre. Le 8 juin 1931, ils tuèrent et dépecèrent un agent territorial, Maximilien Ballot[10] (ressortissant belge de Gembloux), à Kilamba. Ce fut le signal de la grande révolte. Celle-ci eut des répercussions fâcheuses sur les postes de missions. La sécurité n’avait plus cours et tous les Européens durent abandonner la région. Heureusement, la révolte ne dura que quatre mois (mai-septembre 1931). Mais les œuvres d’apostolat en souffrirent énormément, surtout les écoles qui s’étaient vidées de leurs élèves. Du côté des insurgés il y eut 550 morts dont 33 femmes et 10 enfants. Des centaines d’hommes furent arrêtés et jetés en prison où ils furent maltraités. Il y eut ainsi des dizaines de décès parmi les détenus. 70 chefs et notables pende, considérés comme de véritables instigateurs de la révolte, furent relégués, dont certains obligés de ‘fixer leur résidence à Bandundu dans les environs immédiats du chef-lieu’’.   

2.4. La fondation des missions

            Au début de la fondation, en 1931, la superficie du territoire confié aux Oblats était de 20.000 Km2 avec une population totale de 300.000 habitants parmi lesquels on pouvait compter 284.000 païens, 2.500 protestants et 12.000 catholiques. Les trois missions (Ipamu, Mwilambongo et Kilembe) confiées aux Oblats avaient 8.500 catéchumènes avec 96 écoles élémentaires et supérieures.

Après la visite du père Pitsch, Assistant général, en 1935, le père Hubert décida avec son conseil la fondation de deux nouvelles missions, celle de Mateko, confiée au père Simon Charles, pour dégorger Ipamu, et celle de Ngoso au père Nizet, pour décharger Mwilambongo. Le mouvement en faveur de nouvelles fondations va naturellement s’accélérer avec l’érection en Préfecture apostolique du nouveau territoire de mission, le 13 avril 1937. Le Père Bossart en sera nommé Préfet apostolique.

Le 1er juillet, le vicariat apostolique voisin de l’est confié aux Pères Scheutistes cédait aux Oblats tout le territoire de Basongo, compris entre la Loange, à l’ouest, et le Kasaï, à l’est. Cet important territoire n’était malheureusement desservi que par la mission de Brabanta, fondée en 1926 par les missionnaires scheutistes. La même année (1937) était fondée la mission de Koshimbanda[11], et deux années plus tard la mission de Banga au sud de Brabanta pour endiguer l’avance protestante[12]. Un autre poste de mission, Dibaya, à l’est d’Ipamu, au confluent de la Lubwe. L’effort de guerre imposé à la population congolaise ayant procuré à ce centre commercial une extension considérable, Monseigneur y établit une succursale du poste d’Ipamu et la confia au zèle du Père Adam Fernand.

 Une note d’histoire sur l’action missionnaire oblate au Congo resterait incomplète si elle venait à passer sous silence la fondation de l’Ecole Normale de Mwilambongo, en 1941, au plus fort des difficultés nées de la Seconde Guerre mondiale. Cette école poursuivait un seul objectif : la formation de nombreux instituteurs censés être les coadjuteurs indigènes des missionnaires. Monseigneur Bossart en confia la direction au Père Charles Simon.

Entre 1939-1945 la préfecture ne reçut aucune aide en personnel de la Belgique. Vingt-huit prêtres au total continuaient à y déployer leur zèle apostolique. L’élan de fondations, lui, fut momentanément freiné. Il avait fallu attendre l’année 1946 pour remettre la machine en branle grâce à l’arrivée d’un nouveau contingent de 14 missionnaires à la fin du mois de juin. Cet important renfort permit fort heureusement la fondation en 1947 de deux nouveaux postes de mission : Mikope, au sud-est de Brabanta, confié à la direction du Père Lannoy, récemment revenu du service d’aumônerie[13],  et Laba, à mi-chemin entre Ipamu et Mwilambongo.

On peut dire, eu égard à ce qui précède, que jusqu’en 1947, tout le territoire de la Préfecture était bien occupé et que toutes les populations confiées au zèle des missionnaires Oblats étaient atteintes. Pour la région de Brabanta, de nombreuses écoles  avaient été établies dans tous les villages situés le long des trois routes qui traversaient le territoire dans tous les sens. Dans l’entre Kamtcha-Loange (Kalo), presque tous les villages avaient été suffisamment visités et les chrétiens avaient eu l’occasion d’approcher les sacrements. Les postes secondaires, les chapelles de brousse avaient été multipliés, et cela avait permis une occupation plus effective de la région. Sur le plan médical, beaucoup avait été fait. Six religieuses infirmières diplômées s’occupaient des dispensaires d’Ipamu, Mwilambongo et Kilembe. 

            L’œuvre de fondation va pourtant se poursuivre : Idiofa (1949) par Joseph Picard, Mutoy (1950) par Remy Delaite, Mangaï I par Xavier Deville, Kimputu-Bethanie (1950) par Alex Baetens, Ifwanzondo (1950) par Maurice Pilon et deviendra la Maison provinciale le 5 décembre 1951 sur proposition du père Jean-Baptiste Adam. Autres fondations : Belo (1954), Kalo, Mbeo-Ishwi, Ngashi et Mwembe (1955), Lashim (1957), Musenge Bawongo et Mangaï II (1958), Lakas et Banda (1959), Procure Saint Eloi (Kinshasa) et Lozo (1966).

Mais à côté de l’œuvre de fondation, il faut également signaler la volonté des Oblats de promouvoir les vocations religieuses et sacerdotales autochtones. A moyen terme les Oblats envisageaient sérieusement l’érection d’un diocèse qui, à long terme, serait entièrement pris en charge par un clergé autochtone. Pour atteindre cet objectif, ils ne misaient pas seulement sur leur zèle et leurs effectifs. Ils comptaient beaucoup sur la générosité des jeunes congolais à donner une réponse positive à l’appel de Dieu. Voilà pourquoi ils avaient, dès le départ, senti la nécessité de promouvoir, par leur travail et leur témoignage de vie, les vocations à la vie sacerdotale et/ou religieuse. Jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, ils n’avaient pas encore de séminaire à eux, faute de personnel et par manque de ressources financières. La préfecture comptait alors un grand séminariste à Mayidi et trente-deux petits séminaristes à Kinzambi chez les pères jésuites. De même quelques jeunes gens, trop âgés pour devenir prêtre, se préparaient également à Kinzambi à s’engager comme frères enseignants ou coadjuteurs.

En 1946 fut créé un petit séminaire à Ipamu. Transféré à Laba, à mi-chemin entre Mwilambongo et Ipamu, le nouveau site se rendit disponible à accueillir les petits séminaristes à partir du 16 septembre 1948. Est-il encore besoin de rappeler le rôle important joué par cette institution de formation dans l’éclosion des vocations religieuses et sacerdotales dans le diocèse d’Idiofa et chez les Oblats de Marie Immaculée ?

Après avoir longtemps encouragé la jeunesse congolaise à s’orienter vers la vie sacerdotale diocésaine, les Oblats décidèrent finalement d’ouvrir un noviciat à Ifwanzondo le 8 septembre 1954. Le père Dieudonné Novalet, ancien recteur du petit séminaire de Laba, en fut nommé maître. Deux jeunes novices congolais, Vincent Kasay et Louis Mbwol, y furent officiellement admis pour commencer  leur initiation à la vie religieuse oblate. D’autres jeunes congolais allaient les suivre : Célestin Ivami, Fabien Namo, Benoît Kabong, Bonaventure Madiawu, Edmond Bukele, Valère Lwanzu, Léonard Shinginieka, Dieudonné Dima… En 1959, on comptait 9 prêtres séculiers autochtones. Le premier prêtre Oblat congolais, Paul Makream, fut ordonné en 1960, année à laquelle le diocèse d’Ipamu[14] reçut le nom de « Diocèse d’Idiofa ».

Et l’Indépendance ! Le 30 juin 1960, le Congo accède à la souveraineté internationale aux airs d’Indépendance cha cha de Grand Kalé Jeef. Kasavubu est élu (par le parlement) Président de la République, et Lumumba, son Premier ministre. Mais très vite, les deux hommes versent dans une lutte d’influence sans merci. La Belgique, qui a octroyé l’indépendance dans la précipitation, attise le feu de la division. La jeune République va bientôt devenir le théâtre de conflits d’ethnies, d’intérêts et d’idéologies. Très vite elle sombre dans une anarchie sanglante : soldats mutinés, bandes de pillards semant la désolation à travers le pays, chasse aux Blancs par endroit, tribalisme avec sa cohorte de meurtres rituels et de vengeances sauvages, sécessions, rébellions d’inspiration chinoise, etc.

Pendant ce temps, le tiers du Kwilu tombe entre les mains de Pierre Mulele, un marxiste sincère au départ mais vite débordé par ses « Jeunesses » qui obéissaient davantage à leurs instincts qu’aux injonctions des chefs politiques. L’action missionnaire oblate sur toute l’étendue des territoires d’Idiofa et de Gungu se retrouve bientôt piégée et sabordée. Des missions entières sont pillées et parfois brûlées, trois pères sont lâchement assassinés à Kilembe[15], et plusieurs missionnaires abandonnent leur champ d’apostolat pour se réfugier les uns à Brabanta (à l’est), les autres à Djuma (chez les Jésuites), les autres encore à Kinshasa, et les autres enfin, déçus et découragés par les affres de la rébellion, décident de regagner définitivement la Belgique. Le père Jean Drouart, qui visite la Vice-Province en 1966, résume en ces termes la situation de la mission oblate :

Dans la plupart de ces anciens centres, il n’est plus question de ces concentrations de foules de chrétiens le dimanche et aux grandes fêtes, plus question non plus de ces rassemblements massifs de catéchumènes (…). Les statistiques s’arrêtent en 1963 sur le chiffre de 175.000 baptisés pour le diocèse (…). Dans la plupart des cas, les gens ne viennent plus à la ‘mission’ qui n’est plus qu’un centre scolaire. 

Il faut donc dire que sur toute l’étendue du diocèse d’Idiofa, entre 1960-1964, les événements avaient contraint les Oblats à passer d’une « pastorale d’institutions » à une « pastorale de contacts personnels ». Les événements venaient ainsi sonner le glas de la période d’implantation de l’Eglise d’Idiofa. Il fallait maintenant s’atteler à la consolidation de l’œuvre accomplie.

3. La consolidation (1966 – 1992)

            La rébellion muleliste, on l’a vu, avait largement contribué à l’éclatement des grandes missions du diocèse, aussi bien sur le plan matériel que spirituel. Mais au travers de tous ces événements les Oblats ont lu les signes du temps et de la présence de Dieu. Ils ont, pour cela, accéléré le processus de décentralisation (de la pastorale) et ont compris que désormais leur mission était essentiellement devenue, selon la belle expression du père Drouart, un service humble de la jeune chrétienté d’Idiofa et de l’Eglise du Congo.  

3.1. Le service de la jeune chrétienté

En 1966, Idiofa était passé de la commission au statut d’Eglise locale. Le jeune clergé local, composé alors de 16 prêtres, se montra très vite à la hauteur de la tâche. A côté des Oblats, il participa activement au développement du diocèse. Mgr Toussaint, en bon pasteur, accéléra le processus de décentralisation dont il avait senti la nécessité depuis 1958, année de son ordination épiscopale.

La brutalité des douloureux événements mulélistes contraignit les agents pastoraux à passer d’une pastorale d’institutions à une pastorale de contacts personnels, notamment avec la jeunesse qui avait constitué l’élément le plus actif de la rébellion. Désillusionnés, les Oblats vont surtout essayer de repenser leur méthode d’apostolat, selon l’esprit de la circulaire Pour un renouveau de notre pastorale publiée par Mgr Toussaint le 15 octobre 1964 et grâce à laquelle « les missionnaires peuvent désormais s’interroger sur les aspirations, les besoins réels et l’impact de la religion sur leur peuple. Il ne faut plus simplement apporter le message et le verser sur un peuple, mais il faut approfondir la connaissance du peuple et partir de ses réalités concrètes pour annoncer la Bonne Nouvelle ». Pratiquement il ne s’agit plus de baptiser à tout prix ou de continuer à fonder sans cesse des postes de mission ; il s’agit maintenant de se mettre à l’écoute des populations pour connaître leurs vrais problèmes ; il ne s’agit plus d’attendre les chrétiens à la mission centrale ; il s’agit maintenant d’aller les rencontrer dans leurs villages pour leur redonner confiance, ranimer leur foi et discuter ensemble des projets visant la promotion humaine. C’est justement dans ce contexte de découragement, de désarroi, de misère physique et économique que vont être prises les différentes initiatives de développement communautaire[19], que Mgr René Toussaint accompagna d’ailleurs personnellement. Véritable pasteur de son peuple, il « suivait de très près toutes les activités internes du M.P.P. (Mouvement Progrès Populaire) ; mais il s’intéressait aussi aux contacts avec les organismes d’entraide, et se réservait toutes les décisions en ce domaine ». Le père Jean Drouart, en visite canonique au Congo en 1966, note ce qui suit au sujet de ces initiatives :

A ce point de vue, les différentes initiatives de ‘‘développement communautaire’’ m’ont fortement impressionné : comme le dit la Préface, la vie chrétienne suppose un modum sese gerendi rationabilem et vos initiatives, en ce domaine, rentrent bien dans ce que le n° 4 des nouvelles Règles présente comme une des caractéristiques de notre apostolat : lorsque les conditions de la société sont telles qu’elles rendent difficile un authentique travail d’évangélisation, il s’agit d’améliorer le sort des hommes…

Sur le plan pastoral, les Oblats s’investirent particulièrement dans l’animation de la liturgie selon les nouvelles normes du Concile Vatican II et dans la constitution des Bimvuka ya Lutondo (CEB) à travers tous les villages sous leur juridiction. Elie Cambron et plus tard Daniel Delabie et Justin Alung, qu’accompagnaient généralement un groupe de laïcs (animateurs pastoraux) s’illustrèrent dans l’animation de ces CEB et dans la conscientisation des villages et grands centres urbains du diocèse. Mais leur action apostolique restait encore confinée dans la cité d’Idiofa et les villages environnants : Punkulu, Impanga, Elom, Ingung, Idiofa Bala Bala, Lungu, Idjim, Tomoti, Luse, Bitshambele, Iseme, Bembele, Intsung, Musanga, Ingundu, Impini, Ifwanzondo, Intshwem Mission et Labwi, Banda, Yassa Lokwa, etc. Néanmoins, les trois missionnaires et leurs accompagnateurs étaient régulièrement invités à visiter des villages autres que ceux faisant la  ceinture de la cité d’Idiofa. Mgr Eugène Biletsi, sacré évêque d’Idiofa en 1970, apporta tout son appui aux Oblats et les encouragea à s’engager plus à fond dans cet apostolat de proximité.

Dans la perspective d’un retour définitif des missionnaires belges, le Conseil provincial, sur demande de Mgr Biletsi, décida le 23 juin 1986 de regrouper les Oblats en six communautés-missions : Ifwanzondo, Lozo, Panu, Mwembe, Intshwem et Dibaya-Lubwe, les quatre premières étant « réservées aux Oblats ». Il faut dire que ce regroupement a eu le mérite de rendre plus visible encore la dimension communautaire de l’action missionnaire oblate et qu’elle a, en conséquence, favorisé l’éclosion des vocations religieuses et sacerdotales.

3.2. La promotion des vocations

L’avènement de Daniel Loobuyck comme Provincial fut providentiel dans l’exacte mesure où il favorisa l’émergence d’une nouvelle vague de vocations oblates. Théophile Muke, qui fit son noviciat à Kinshasa (Mbudi) chez les Pères scheutistes, y mourut malheureusement le 9 octobre 1975 d’une cirrhose du foie. Cette mort inopinée ne découragea pourtant pas les Oblats qui, l’année suivante, envoyèrent au même noviciat Jean-Pierre Bwalwel et François Ngayndam, tous deux originaires du diocèse d’Idiofa.

A partir de 1977 le noviciat oblat fonctionnera dans l’enceinte de la maison de retraites d’Ifwanzondo. Le père Louis Mbwol, maître des novices, accompagnera dès cette même année une dizaine de jeunes qui émettront leurs premiers vœux en septembre 1978. Le père Louis exercera ce ministère jusqu’en 1984, année à laquelle le pape Jean-Paul II le nommera évêque auxiliaire d’Isangi[20].

Le cinquantenaire des Oblats au Congo en 1981 avait, quant à lui, coïncidé avec la construction du noviciat à Ifwanzondo et du scolasticat à Kinshasa. Cette grande célébration, à laquelle avaient participé l’évêque d’Idiofa Mgr Eugène Biletsi, Mgr René Toussaint[21], le Supérieur général Fernand Jetté et le Conseiller général pour l’Afrique Thomas Manyeli, était suivie d’un important mini-congrès au cours duquel la Vice-province prit le soin de se donner de nouvelles orientations missionnaires, tout en faisant de la formation première la priorité de son action. 

            Mais revenons à l’année 1978. A partir de cette année, les jeunes qui finissaient le noviciat à Ifwanzondo ne prenaient plus la route du Lesotho[22]. Ils étaient plutôt envoyés à Kinshasa au scolasticat inter-congrégationnel de l’ASUMA d’où ils gagnaient chaque matin la banlieue de Kimwenza pour étudier la philosophie chez les Jésuites. Avec le temps toutefois, les Oblats décideront l’ouverture, en 1982, de leur propre théologat dans l’enceinte du scolasticat de Kintambo, dont la direction fut confiée à Daniel Loobuyck, assisté par René Béchet, Marius Bobichon, Hubert Lagacé, Nino Bucca et René Vermeire, celui-là même qui conduisit jusqu’à leur terme les travaux de construction du scolasticat Saint Eugène de Mazenod dans la commune de Kintambo. Celui-ci fut béni par Mgr Louis Mbwol et inauguré par le Supérieur général Marcello Zago en 1987. Depuis ce temps, le scolasticat et le théologat Saint Eugène de Mazenod accueillent des dizaines de jeunes Oblats et d’autres appartenant à différentes congrégations pour la formation religieuse et académique.

Pour renforcer la formation à l’internationalité, les Supérieurs majeurs de la Sous-Région Francophone d’ Afrique et Madagascar ont décidé, lors de la Conférence sous-régionale de Dakar en janvier 2004, la consolidation et le regroupement des maisons de formations existantes. C’est ainsi que depuis octobre 2004, le scolasticat Saint Eugène de Mazenod de Kintambo fonctionne comme maison de formation consolidée devant accueillir les jeunes Oblats théologiens du Congo, du Cameroun, du Nigeria, du Tchad, du Sénégal et de Madagascar.

Avec la nouvelle vague, les Oblats n’ont plus connu de crise de vocations. A Ifwanzondo comme à Kintambo, les promotions de novices et de scolastiques se sont succédées l’une après l’autre, sans interruption, jusqu’à ce jour. Des dizaines de jeunes gens enthousiastes y passent leur initiation à l’aventure missionnaire et se disent prêts à vouer leur existence au service de l’Evangile. Par ailleurs les Oblats ayant exercé leur ministère en qualité de maîtres des novices ou de supérieurs du scolasticat se sont tous montrés à la hauteur de la tâche[23].

3.3. Au service de l’Eglise locale du Congo

            A quelque chose, dit-on, malheur est bon. Dans l’incertitude du lendemain, l’une des conséquences heureuses des événements mulelistes a été la fondation de la Procure Saint Eloi à Kinshasa (commune de Barumbu) en 1966. Comment cela a-t-il été rendu possible ?

En 1964, les Oblats, obligés par les événements à se replier sur Léopoldville, ressentirent la nécessité d’y ouvrir une résidence pour assurer un pied-à-terre aux pères et frères dispersés à travers la capitale. Mais Mgr Joseph Malula, archevêque de Léopoldville, conditionnait l’ouverture officielle d’une résidence religieuse à la prise en charge d’une paroisse, en ville ou dans la banlieue. Le choix tomba sur la succursale dédiée à Saint Eloi. Celle-ci comprenait alors quelques quartiers relativement anciens, comme le camp et la prison militaires de Ndolo, le quartier Otraco, le quartier de l’aérodrome, précédé par le quartier commercial dit ‘Bon Marché’.

Une fois ce choix fait, le père scheutiste Gaston Fransen, alors aumônier de Saint Eloi, passa la main à un Oblat de Marie Immaculée, le père René Barbier, premier chapelain oblat de la succursale. Mais à partir de 1966, le centre d’intérêt principal du père Barbier va se déplacer vers les services de l’économat de la Vice-Province oblate.

            En 1966, Kinshasa est une métropole rassemblant le dixième de la population nationale. L’archidiocèse de Kinshasa et même la Conférence épiscopale se trouvent rapidement débordés par l’immensité des tâches pastorales à assurer. Les Oblats, comme d’ailleurs la plupart des congrégations religieuses, qui demandent de s’implanter dans la capitale, acceptent, par obligation morale, de prendre part aux nombreuses activités pastorales de l’archidiocèse. Mais il y a aussi l’ASUMA où les Oblats apportent une contribution significative à la formation des jeunes religieux congolais, avec les pères Benoît Kabong et Daniel Loobuyck comme, successivement, supérieurs du scolasticat inter-congrégationnel jusqu’en 1982, année de la fondation du scolasticat oblat Saint Eugène de Mazenod à Kintambo.

            Entre 1970 et 1982 toute l’action missionnaire oblate consistera à assurer les tâches de l’évangélisation, de l’éducation, de la santé (à Mutoy particulièrement avec le père Ludo Wouters) et de la promotion humaine.

En 1984, un événement de taille va contribuer indirectement à étendre le champ apostolique des Oblats. C’est  l’ordination épiscopale, le 25 novembre, à Isangi, de Mgr  Louis Mbwol Mpasi comme évêque auxiliaire d’Isangi. Situé dans l’actuelle Province de Tshopo, Isangi est un diocèse de 50.000 Km2 habité par un peu plus de 515.000 habitants dont 13 pour cent seulement sont catholiques.

Mgr Jansen, évêque d’Isangi, dont le dévouement pour son diocèse reste exemplaire jusqu’à ce jour, ne se contenta pas de la seule présence de Mgr Mbwol à ses côtés. Il alla jusqu’à solliciter, en 1987, le concours des confrères de ce dernier pour l’évangélisation de son diocèse. Une convention liant le diocèse d’Isangi et les Oblats fut signée peu avant la mort inopinée de Mgr Jansen en Belgique où il se trouvait en congé. Bientôt « appelé à lui succéder, Mgr Mbwol fut amené à installer, la même année, ses confrères Oblats dans la lointaine mission d’Opala au sud du diocèse, en plein dans la cuvette centrale, immense paroisse plus étendue que la moitié de la Belgique, au bord de la grosse rivière Lomami »[24]. Deux années plus tard, Mgr Mbwol confia au zèle des Oblats la fondation et la prise en charge du petit séminaire Anuarite Bolingo[25], installé à la mission catholique Yabwanza et inauguré le 18 septembre. Plus tard, les Oblats desserviront aussi la mission catholique de Wenge après le départ des missionnaires montfortains.

 A Kinshasa, en dehors de Saint Eloi, les Oblats ont aussi accepté de s’occuper des paroisses Saint Philippe (Camp Luka, Ngaliema), Christ Sauveur (Selembao) à partir de 1989 et Saint Justin (Quartier Congo, Ngaliema). Kikwit étant, pour les Oblats – majoritairement alors installés dans le diocèse d’Idiofa– un point de passage obligé vers Kinshasa, le besoin se fit sentir d’y avoir un pied-à-terre. Une maison fut ainsi ouverte en 1992 en attendant l’érection en 1998 de la paroisse Notre-Dame du Rosaire.

3. La Refondation (1992 – )

            Après une période de transition de sept ans, la direction de la jeune Province[26] est bientôt assurée, pour la toute première fois, par un Oblat congolais en la personne de Benoît Kabong Ben’Awis, qui succède à Roger Lievens. Nommé Provincial le 05 mai 1992, le père Benoît fait de la vie communautaire ainsi que de la formation première la priorité de son action, et décide en conseil de transférer la maison provinciale d’Ifwanzondo à Kinshasa.

Mais 1992 et 1993 sont les années de turbulences politiques au Zaïre de Mobutu. Les scènes de pillages, perpétrés par les militaires et le petit peuple, sont signalées dans la plupart des grandes villes du pays. A Kinshasa, depuis que, le 16 février 1992, les chrétiens ont bruyamment organisé la marche d’espoir pour réclamer la réouverture des travaux de la Conférence nationale souveraine suspendus « avec force » par le Premier ministre Nguza Karl-i-Bond, la sécurité du personnel ecclésiastique, expatrié notamment, n’est presque plus assurée. Plusieurs ambassades occidentales conseillent à leurs ressortissants de quitter le Zaïre. C’est ainsi que plusieurs Oblats belges, la mort dans l’âme, se voient contraints de retourner momentanément chez eux.

Mis devant le défi d’assurer seuls la relève en l’absence de ceux qui les avaient formés, les Oblats autochtones vont rapidement prendre en mains leurs responsabilités en continuant courageusement d’organiser la vie et d’animer la mission de la Congrégation.

            Le Congrès de 1995, convoqué par le père Provincial Benoît Kabong, peu avant la fin de son mandat, fut, d’après Mgr Marcello Zago, l’occasion « d’exprimer la responsabilité de tous pour discerner les appels du Seigneur et les défis missionnaires ». Les Assemblées provinciales de 1998 et 2003 n’auront pas d’autre prétention. Elles auront surtout permis à la Province de se concentrer sur l’essentiel de sa mission, en replaçant le Christ au centre de toute son action. Cela a été perçu sous un nouveau jour avec le projet Immense Espérance grâce auquel les Oblats du Congo ont courageusement défini de nouvelles stratégies visant à atteindre la nouvelle visée missionnaire.

Il faut donc dire que depuis 1992 les Administrations provinciales, qui se sont succédées (Benoît Kabong (1992-1995), Baudouin Mubesala (1995-1998), Bosco Musumbi (Acting provincial 1998-1999), Paul Manessa (1999-2005), Macaire Manimba (2005-2011) et Abel Nsolo (2011-) ont véritablement engagé la Province dans un processus de ré-fondation par lequel les valeurs de l’Evangile sont mis en oeuvre pour répondre plus adéquatement aux besoins les plus urgents de l’Église locale et de la société congolaise.

En Angola les Oblats, arrivés en février 1997, sont présents dans les diocèses de Luanda, de Cashito et d’Ondjiva. Tout en reconnaissant que les débuts de ces implantations avaient été difficiles, ils sont heureux de constater que dans ce pays ils sont en train d’écrire une formidable épopée missionnaire. Pour soutenir l’élan enclenché, les statuts particuliers et le plan de financement pour la Mission élaborés et soumis à l’approbation du Supérieur général ont été approuvés. L’Administration provinciale ne cesse d’encourager « le Supérieur de la Mission et son conseil à animer la Mission selon l’esprit et la lettre de ces documents importants pour la croissance harmonieuse de la Mission » oblate en terre angolaise. Toutefois, il serait souhaitable que dans cette partie du monde les Oblats continuent à faire preuve d’audace et d’inventivité dans l’élaboration d’un projet pastoral qui soit en phase avec la situation réelle d’un pays qui retrouve petit à petit son unité après autant de décennies de guerre fratricide.

D’autres projets d’implantation existent et attendent toujours une réponse audacieuse des Oblats. Ceux-ci sont, en effet, attendus dans plusieurs diocèses des deux Congo et d’Angola. Entre-temps, sensibles aux appels de la mission, il avait été décidé l’ouverture d’une nouvelle mission dans le diocèse de Lolo en province équatoriale. Un premier groupe de trois missionnaires (deux prêtres et un frère scolastique) s’installait à Ekama en septembre 2007. En septembre 2008, répondant à l’appel de Mgr Domenico Padovano, la Province oblate du Congo, en plein accord avec la province d’Italie (actuelle province Méditerranée), prenait pied dans le diocèse de Conversano-Monopoli en Italie. Deux prêtres congolais purent ainsi commencer une nouvelle expérience pastorale à Pezze di Greco. En septembre 2015, les Oblats congolais se sont vu confiés l’administration de la paroisse Maria Santissima Immacolata de Casalini di Cisternino (Province de Brindisi). Et l’aventure missionnaire continue !

L’avenir en pointillés …

            Depuis leur arrivée au Congo en 1931, les Oblats ont toujours eu la conscience d’appartenir à un corps religieux et missionnaire. Pour cela, ils  participent activement, par leur vie et leur travail, à la mission de l’Église, qui est fondamentalement d’annoncer l’Evangile du Christ au monde, et particulièrement aux plus pauvres. Chaque jour qui passe, ils réalisent que l’impératif missionnaire s’impose à eux, plein de force, et leur fait prendre conscience de leur responsabilité d’annonciateurs de la Bonne Nouvelle à des masses humaines grandissantes et délaissées, « dont la condition réclame à grands cris une espérance et un salut que seul le Christ peut apporter en plénitude » (Art. 5, Constitutions et Règles).

            Dans cet éveil de conscience (missionnaire), ils voient la société congolaise pas comme totalement mauvaise, mais comme l’arène où ils doivent être à l’avant-garde de l’inculturation de l’Evangile. Ils croient que, pour accomplir pleinement leur mission d’Église, ils doivent eux-mêmes revenir à la personne du Christ, au charisme fondateur pour pouvoir affronter avec passion et enthousiasme les défis des temps actuels. 

            Aujourd’hui, pour rendre plus efficace leur action apostolique, il leur paraît urgent d’élaborer un projet missionnaire global pour la Province. Un projet en mesure de provoquer l’enthousiasme, l’audace et la créativité ; un projet à même de mobiliser les énergies de tous, tout en clarifiant leur identité et en renforçant le sens de leur appartenance à l’Eglise. 

A se pencher plus en détail sur les inévitables fluctuations et tâtonnements qu’imposent les circonstances (contextes) du moment, ils envisagent schématiquement trois axes successifs d’intervention de terrain :

            En premier lieu, ils entendent intégrer l’encadrement de la jeunesse dans une pastorale présente au sein des institutions scolaires et/ou universitaires. En second lieu, ils prévoient d’orienter l’action apostolique vers l’aide aux couches les plus vulnérables de la société comme les paysans sans véritables ressources, les orphelins, les Shégués (enfants de la rue), les malades du VIH/Sida, les déplacés de guerre, les réfugiés, etc. Les missions populaires, la conscientisation des villages et l’évangélisation par les médias donneront lieu en troisième instance à des initiatives pastorales plus audacieuses. L’Administration provinciale, quant à elle, veillera toujours à sensibiliser tous les membres de la Province à ce projet global en donnant une information adéquate et en assurant une animation soutenue aussi bien sur le plan local que provincial.  

Et quelles qu’en soient les contraintes et les difficultés, l’avenir de la Province oblate du Congo est envisagée avec une plus grande confiance d’autant que le charisme oblat continue à exercer son charme sur les jeunes congolais qui, de toutes les parties du pays, se disent prêts à vouer leur existence au service de l’Evangile. Par ailleurs, les sacrifices consentis et les étapes franchies jusqu’ici sont pour les Oblats un gage d’espérance.

                                                                      

                                                                                                                                      Père Macaire Manimba Mane, omi.